Pourquoi les nerds sont impopulaires ?

Note

Ce texte a été écrit par Paul Graham en Anglais : « Why nerds are unpopular ». Le texte ci-dessous est une version adaptée/corrigée de cette traduction française.

Quand on était au collège, mon ami Rich et moi avions dressé une carte des tables de la cantine en fonction de la popularité. C’était facile, parce que les gamins ne mangeaient qu’avec d’autres partageant à peu près la même popularité. On les avait notées de A à E. Les tables A étaient pleines de joueurs de football, de cheerleaders, et ainsi de suite. Les tables E regroupaient les enfants affligés de cas légers du syndrome de Down, qu’on appelait attardés mentaux à l’époque.

Nous, nous étions à une table D, c’est à dire aussi bas qu’on puisse être sans avoir l’air différent physiquement. C’était plutôt sincère d’ailleurs, dire le contraire aurait été mentir. Tout le monde dans l’école savait exactement à quel point chacun des autres était populaire, nous y compris.

Ma popularité a commencé à monter progressivement au lycée. La puberté a fini par arriver, je suis devenu un bon joueur de foot; et j’ai monté un journal underground scandaleux. J’ai donc vu une bonne partie de l’échelle de popularité.

Je connais beaucoup de gens qui étaient des nerds à l’école, et ils racontent tous la même histoire : il y a une forte corrélation entre être intelligent et être un nerd, et une corrélation inverse encore plus forte entre être un nerd et être populaire. Être intelligent semble rendre impopulaire.

Pourquoi ? Pour quelqu’un qui est à l’école, ça semble être une question étrange. C’est un fait tellement présent, évident, qu’il peut sembler bizarre d’imaginer qu’il puisse en être autrement. Mais ça le pourrait. Être intelligent ne vous transforme pas en marginal rejeté à l’école primaire. Et, pour autant que je puisse en juger, le problème n’est pas si important dans la plupart des autres pays. Mais dans un collège américain typique, être intelligent a beaucoup de chances de vous rendre la vie difficile. Pourquoi ?


La clé de ce mystère est de reformuler un peu la question. Pourquoi les enfants intelligents ne se rendent-ils pas populaires ? Si ils sont si malins, pourquoi ne comprennent ils pas comment marche la popularité, et pourquoi ne réussissent ils pas à maitriser ce système, comme ils le font pour les contrôles de cours et les tests d’aptitude ?

On a dit que ça serait impossible, que les enfants intelligents sont impopulaires parce que les autres enfants envient leur intelligence, et que rien qu’ils puissent faire ne pourrait les rendre populaires. Si seulement. Si les autres gosses du collège m’enviaient, ils le cachaient vachement bien. Et de toute façon, si être intelligent était vraiment une qualité enviable, les filles auraient rompu les rangs. Les filles aiment les garçons que les autres garçons envient.

Dans les écoles où j’ai été, être intelligent n’avait pas vraiment d’importance. Les enfants n’admiraient, ni ne méprisaient l’intelligence. Tant qu’à faire, ils auraient préféré être du coté « plus intelligents que la moyenne » plutôt que du côté des plus cons. Mais l’intelligence comptait nettement moins que l’apparence physique, le charisme ou les performances sportives, par exemple.

Alors si l’intelligence elle-même n’est pas un facteur de popularité, pourquoi les enfants intelligents sont ils toujours impopulaires ? La réponse, je crois, c’est qu’ils ne veulent pas vraiment l’être.

Si quelqu’un m’avait dit ça à l’époque, je lui aurais ri au nez. Être impopulaire à l’école rend les enfants malheureux, certains au point de se suicider. Me dire que je ne voulais pas être populaire, ç’aurait été comme dire à quelqu’un mourant de soif dans un désert qu’il ne veut pas d’un verre d’eau. Bien sûr que je voulais être populaire.

Mais en fait non, pas assez. Il y avait quelque chose que je voulais plus : être intelligent. Pas seulement pour avoir des bons résultats à l’école, même si ça comptait, mais pour concevoir des fusées, ou pour bien écrire, ou pour comprendre comment programmer un ordinateur. D’une façon générale, pour faire des grandes choses.

A l’époque, je n’ai jamais essayé de séparer mes désirs et de les peser l’un vis à vis de l’autre. Si je l’avais fait, j’aurais vu qu’être intelligent était le plus important pour moi. Si quelqu’un m’avait offert la possibilité d’être le gosse le plus populaire de l’école, mais au prix d’être d’une intelligence moyenne (laissez moi croire que je ne l’étais pas, voulez-vous), je ne l’aurais pas saisie.

Et aussi profondément qu’ils puissent souffrir de leur impopularité, je ne pense pas que beaucoup de nerds le feraient. Pour eux, l’idée d’une intelligence moyenne est insupportable. Mais la plupart des enfants accepteraient ce marché. Pour la moitié d’entre eux, c’eût été un progrès. Même pour quelqu’un d’intelligent à 80% (en admettant, comme nous semblions tous le faire à l’époque, que l’intelligence est une valeur scalaire), qui ne laisserait pas tomber 30 points en échange d’être aimé et admiré de tous ?

Et voila, à mon avis, le cœur du problème. Les nerds servent deux maitres. Ils veulent être populaires, certainement, mais ils veulent surtout être intelligents. Et la popularité n’est pas quelque chose que l’on puisse travailler pendant son temps libre, pas dans l’environnement furieusement compétitif d’un collège américain.


Alberti, sans doute l’archétype de l’Homme de la Renaissance, écrit que « aucun art, aussi mineur soit il, ne demande moins qu’une dévotion totale à qui veut y exceller. » Je me demande si quelqu’un dans le monde travaille plus dur à quelque chose, que les gosses des écoles américaines qui travaillent à être populaires. Les commandos SEALs de la Navy et les neurochirurgiens sont des branleurs à côté d’eux. Eux, ils prennent des vacances, et ils ont même des hobbies. Un adolescent américain pourra travailler à être populaire chaque jour, 365 jours par an.

Je ne veux pas suggérer qu’ils le font consciemment. Certains d’entre eux sont de véritables Machiavels, mais ce que je veux vraiment dire, c’est que les ados sont toujours à l’œuvre en tant que conformistes.

Par exemple, les ados font très attention à leurs vêtements. Ils ne s’habillent pas consciemment pour être populaires. Ils s’habillent pour être beaux. Mais vis à vis de qui ? Des autres gosses. L’opinion des autres enfants devient leur définition de ce qui est bien, et pas seulement pour les vêtements, mais pour tout ce qu’ils font, jusqu’à leur manière de marcher. Et donc, chaque effort qu’ils font pour faire les choses « bien » est aussi, consciemment ou non, un effort pour être plus populaire.

Les nerds ne réalisent pas cela. Ils ne réalisent pas qu’être populaire demande du travail. En général, les gens qui sont en dehors d’un domaine très exigeant ne réalisent pas à quel point le succès dépend d’un effort constant (bien que souvent inconscient). Par exemple, la plupart des gens semblent considérer la capacité à dessiner comme une sorte de qualité innée, comme « être grand ». En fait, la plupart des gens qui « savent dessiner » aiment ça, et ont passé des heures à le faire, et c’est pour ça qu’ils sont bons. De même, la popularité, ce n’est pas quelque chose qu’on a ou pas, c’est quelque chose qu’on se construit soi-même.

La principale raison pour laquelle les nerds sont impopulaires, c’est qu’ils ont d’autres idées en tête. Leur attention se porte sur les livres, ou sur la nature, pas sur les modes et les fêtes. Ils sont comme quelqu’un qui essayerait de jouer au football en essayant de garder un verre d’eau en équilibre sur leur tête. Les autres joueurs, qui eux peuvent focaliser toute leur attention sur le jeu, les battent sans effort aucun, et se demandent pourquoi ils semblent si incapables.

Même si les nerds s’attachaient autant que les autres enfants à leur popularité, devenir populaires leur demanderait plus de travail. Les enfants populaires ont appris à l’être, et à vouloir l’être, de la même manière que les nerds ont appris à être intelligents et à vouloir l’être : par leurs parents. Tandis que les nerds étaient entrainés à trouver les réponses exactes, les enfants populaires étaient entrainés à plaire.


Jusqu’ici j’ai mélangé volontairement la relation entre nerd et intelligent, utilisant les deux comme si les deux concepts étaient interchangeables. En fait, c’est seulement le contexte qui les rend interchangeables. Un nerd est quelqu’un qui n’est pas assez adapté socialement. Mais « assez » dépend de l’endroit où l’on se trouve. Dans une école américaine typique, les standards pour être « cool » sont si élevés (ou plutôt, si spécifiques), que l’on n’a pas besoin d’être particulièrement maladroit pour avoir l’air maladroit en comparaison.

Peu d’enfants intelligents peuvent fournir l’attention que la popularité requiert. A moins qu’ils soient aussi, en plus, beaux, des athlètes naturels ou qu’ils fassent partie de la famille d’enfants populaires, ils tendront à devenir des nerds. Et c’est pour ça que la vie des gens intelligents est la pire entre, disons, 11 et 17 ans. La vie à cette époque tourne beaucoup plus autour de la popularité que n’importe quand avant ou après.

Avant cela, la vie des enfants est dominée par leurs parents, pas par les autres enfants. Les gamins de l’école primaire font attention à l’opinion de leurs semblables, mais ce n’est pas toute leur vie, comme ça le devient par la suite.

À peu près vers 11 ans, pourtant, les enfants commencent à considérer leur famille comme un petit boulot. Ils créent un nouveau monde entre eux, et faire partie de ce monde est ce qui compte, pas faire partie de leur famille. D’ailleurs, avoir des problèmes avec leur famille peut même leur faire gagner des points dans le monde qui les intéresse.

Le problème, c’est que le monde que ces enfants créent pour eux mêmes est très rudimentaire au début. Si vous laissez une poignée d’enfants de onze ans livrés à eux mêmes, ce que vous obtenez c’est « Sa Majesté Des Mouches ». Comme beaucoup de gosses américains, j’ai lu ce livre à l’école. À priori, ce n’est pas une coïncidence. Peut-être que quelqu’un voulait nous montrer à quel point nous étions des sauvages, et que nous nous étions construit un monde cruel et stupide. C’était trop subtil pour moi. Bien que le livre ait semblé tout à fait crédible, je n’ai pas capté le message. J’aurais préféré qu’on nous dise de but en blanc que nous étions des sauvages et que notre monde était con.


Les nerds trouveraient leur manque de popularité plus supportable si ils se faisaient ignorer par les autres enfants. Malheureusement, être impopulaire à l’école, ça veut dire être persécuté activement.

Pourquoi ? Encore une fois, n’importe qui qui soit encore à l’école trouverait la question bizarre. Comment pourrait-il en être autrement ? Mais ça le pourrait. Les adultes ne persécutent pas les nerds. Pourquoi les ados le font-ils ?

C’est en partie parce que les ados sont encore à moitié enfants, et que beaucoup d’enfants sont intrinsèquement cruels. Certains torturent les nerds pour la même raison qui fait qu’ils arrachent les pattes des araignées. Avant de développer une conscience, la torture, c’est marrant.

Une autre raison pour laquelle les enfants persécutent les nerds, c’est parce que ça les fait se sentir mieux. Quand vous nagez, vous vous tirez en avant en poussant l’eau vers l’arrière. De la même manière, dans toute hiérarchie sociale, les gens peu sûrs de leur propre position essayeront de l’affirmer en maltraitant ceux qu’ils jugent être en dessous d’eux. J’ai lu que c’était la raison pour laquelle les blancs pauvres était le groupe social américain le plus hostile aux noirs.

Mais je crois surtout que la raison pour laquelle les autres enfants persécutent les nerds, c’est parce que c’est l’un des mécanismes de la popularité. La popularité ne concerne que partiellement l’attractivité personnelle. Elle se rapporte beaucoup plus aux alliances. Pour devenir plus populaire, on doit faire constamment des choses qui nous rapprochent d’autres personnes populaires, et rien ne rapproche plus les gens qu’un ennemi commun.

Exactement comme un politicien qui, voulant détourner l’attention des votants d’une crise interne, pourra créer un ennemi s’il n’en existe pas (Saddam, anyone ?). En singularisant et en persécutant un nerd, un groupe d’enfants plus hauts dans la hiérarchie populaire crée des liens entre eux : attaquer quelqu’un qui est hors du groupe les fait intrinsèquement entrer dans le groupe. C’est pourquoi les pires cas de brutalité sont le fait de groupes. Demandez à n’importe quel nerd : le traitement infligé par les groupes est nettement pire que les persécutions d’une brute seule, aussi sadique soit elle.

Si cela peut consoler les nerds, ça n’a rien de personnel. Le groupe d’enfants qui se réunit pour vous faire chier font la même chose, et pour la même raison, qu’un groupes de types qui se réunissent pour aller chasser. Ils ne vous haïssent pas vraiment. Ils ont juste besoin de gibier.

Parce qu’ils sont en bas de l’échelle, les nerds sont une cible sans risque pour l’école toute entière. Si je me rappelle bien, les enfants les plus populaires ne persécutent pas les nerds ; ils n’ont pas besoin de s’abaisser à ce genre de chose. La plus grande partie des persécutions vient d’enfants plus bas qu’eux, la classe moyenne.

Le problème, c’est qu’ils sont nombreux. La distribution de la popularité n’est pas une pyramide, mais elle rétrécit en bas, comme une poire : le groupe le plus impopulaire est plutôt réduit (je crois que nous étions la seule table D sur notre carte de la cafétéria). Ainsi, il y a plus de gens qui veulent emmerder les nerds qu’il n’y a de nerds.

En plus de gagner des points en se distançant des gosses impopulaires, on perd des points en étant proche d’eux. Une femme que je connais dit qu’au lycée elle aimait bien les nerds, mais qu’elle avait peur d’être vue en train de leur parler parce que les autres filles se seraient foutues d’elle. L’impopularité est une maladie contagieuse ; même les enfants trop gentils pour taper sur les nerds les ostracisent pour se protéger.

Ce n’est donc pas étonnant, sachant cela, que la vie des enfants intelligents aie tendance à être malheureuse en fin de collège / début de lycée. Leurs autres intérêts leur laisse peu d’attention envers la popularité, et comme elle ressemble à un jeu à sommes nulles, cela les transforme automatiquement en cibles pour l’école toute entière. Et ce qui est étrange, c’est que ce scénario de cauchemar se réalise sans aucune malice consciente, mais juste parce que telle est la forme de la situation.


Pour moi, la pire période fut la cinquième, quand la culture entre enfants était nouvelle et dure, et que la spécialisation qui à terme séparerait les enfants intelligents des autres commençait à peine. Presque toutes les personnes à qui j’aie parlé s’accordent sur ce point : le nadir se situe quelque part entre 11 et 14 ans.

J’avais 12 ans à l’époque. Il y eut un évènement notable mais bref cette année, quand une de nos profs entendit un groupe de filles parler entre elles en attendant le bus, et fut si choquée qu’elle dévoua le lendemain tout son cours à une plaidoirie éloquente afin de nous demander de ne pas être si cruels les uns vis à vis des autres.

Ça n’eut pas d’effet notable. Ce qui m’a frappé à l’époque, ce fut qu’elle ait été surprise. Vous voulez dire qu’elle ne savait pas le genre de choses qu’on se disait entre nous ? Vous voulez dire que ce n’est pas normal ?

Il est important de réaliser que non, les adultes ne savent pas ce que les enfants se font entre eux. Ils savent, d’une manière abstraite, que les enfants sont monstrueusement cruels les uns envers les autres, de la même manière que nous savons de manière abstraite que des gens sont torturés dans les pays pauvres. Mais, comme nous, ils n’aiment pas s’attarder sur ce triste état de fait, et ne voient pas de preuves d’abus spécifiques tant qu’ils ne vont pas les chercher.

Les profs sont à peu près dans la même position que les matons de prison. Le principal souci des matons est de garder les détenus dans la prison. Ils doivent aussi les nourrir, et autant que faire se peut les empêcher de s’entretuer. À coté de ça, ils veulent avoir le moins possible affaire avec les prisonniers, alors ils les laissent créer l’organisation sociale qu’ils veulent, quelle qu’elle soit. De ce que je sais, la société créée par les détenus est tordue, sauvage, envahissante, et ce n’est pas du tout drôle d’y être en bas.

Grossièrement, c’était pareil dans les écoles que j’ai fréquenté. La chose la plus importante était de rester dans les locaux. Tant qu’on y était, les autorités nous nourrissaient, empêchaient la violence ouverte, et faisaient quelques efforts pour nous apprendre des choses. Mais à coté de ça, elles voulaient avoir le moins affaire aux gosses que possible. Comme les matons, les profs nous laissaient à nous mêmes la plupart du temps. Et, comme les prisonniers, la culture que nous avons créé était barbare.


Pourquoi est-ce que le monde réel est plus vivable pour les nerds ? Il pourrait sembler que la réponse est simplement qu’il est peuplé d’adultes, qui sont trop murs pour se chercher les uns les autres. Mais je ne crois pas que c’est vrai. Les adultes en prison se persécutent les uns les autres. Ainsi, apparemment, que les femmes « de société » ; dans certaines parties de Manhattan, la vie des femmes semble être une prolongation du lycée, avec les mêmes intrigues à deux francs.

Je pense que la chose la plus importante à propos du monde réel n’est pas qu’il est peuplé d’adultes, mais qu’il est très grand, et que les choses qu’on y fait on des vrais effets. Voila ce dont les écoles, les prisons, et les dîners mondains manquent. Les habitants de ces mondes sont piégés à l’intérieur de petites bulles ou rien qu’ils fassent n’a un effet plus large qu’au niveau local. Il est naturel que ces sociétés dégénèrent vers la sauvagerie. Elles n’ont pas de fonction que leur forme puisse suivre.

Quand les choses que vous faites on des effets réels, ils n’est plus suffisant de plaire. Il devient important d’avoir les réponses exactes, et c’est là que les nerds sont avantagés. Bill Gates en est l’exemple le plus parlant. Bien que connu pour manquer de compétences sociales, il a les bonnes réponses, au moins si on les mesure en termes de revenus.

L’autre chose qui est différente à propos du monde réel est qu’il est beaucoup plus grand. Dans un ensemble assez grand, même les plus petites minorités peuvent atteindre une masse critique si elles se rassemblent. Dans le monde réel, les nerds se réunissent dans des lieux particuliers et forment leurs propres sociétés où l’intelligence est la chose la plus importante. Parfois les évènements commencent à partir dans l’autre direction : parfois, particulièrement dans les départements maths et sciences des facs et des prépas, les nerds exagèrent volontairement leur maladresse afin de paraître plus intelligents. John Nash admirait tellement Norbert Wiener qu’il a adopté son habitude de toucher le mur des couloirs qu’il parcourait.


Quand j’avais 13 ans, je n’avais pas beaucoup plus d’expérience du monde que ce que j’en voyais autour de moi. Le petit monde tordu dans lequel nous vivions était, pensais-je, le monde. Le monde semblait cruel et chiant, et je ne sais pas lequel des deux était pire.

Parce que je ne rentrais pas dans ce monde, je pensais que je devais avoir un problème. Je ne réalisais pas que la raison pour laquelle nous autres nerds ne nous sentions pas à notre aise dedans était que nous avions un pas d’avance. Nous pensions déjà au genre de chose qui compte dans le monde réel, au lieu de passer notre temps à jouer au même jeu harassant mais néanmoins sans intérêt que les autres.

Nous étions un peu comme ce que serait un adulte si il se retrouvait catapulté au collège. Il ne saurait pas quelles fringues il faut porter, quelles musiques il faut écouter, quelles expressions il faut utiliser. Pour les autres enfants, il semblerait totalement étranger. Le truc, c’est qu’il en saurait assez pour se foutre de ce que les autres penserait. Nous n’avions pas ce genre de confiance.

Beaucoup de gens semblent penser qu’il est bon pour les enfants intelligents d’être mêlés à des enfants « normaux » durant cette période de leur vie. Peut-être. Mais dans certains cas au moins, la raison pour laquelle les nerds ne s’intègrent pas est que tous les autres sont fous. Je me souviens d’avoir été assis dans le public d’un « pep rally » (NDT : le spectacle donné par les cheerleaders pour encourager leur équipe) au lycée, et d’avoir regardé les cheerleaders jeter une effigie d’un joueur adverse dans le public pour qu’elle y soit mise en pièce. J’avais l’impression d’être un explorateur témoin d’un rituel tribal bizarre.


Si je pouvais revenir en arrière et donner des conseils à mon moi de 13 ans, la première chose que je me dirais serait de lever un peu les yeux et de regarder autour de moi. Je ne m’en rendais pas du tout compte à l’époque, mais le monde dans lequel nous vivions était aussi faux qu’un billet de 3 dollars. Pas juste l’école, mais la ville toute entière. Pourquoi les gens déménagent ils en banlieue ? Pour avoir des enfants ! Pas étonnant que cela semble si chiant et stérile. L’endroit tout entier était une garderie géante, une ville artificielle créer explicitement dans le but d’élever des enfants comme du bétail.

Où j’ai grandi, il semblait qu’il n’y avait nulle part où aller, et rien à faire. Ce n’était pas un accident. Les banlieues sont conçues délibérément pour exclure le monde extérieur, parce qu’il contient des choses qui pourraient mettre les enfants en danger.

Quant aux écoles, elles étaient juste des enclos à l’intérieur de ce monde bidon. Officiellement le but des écoles est d’enseigner aux enfants. En fait, leur but principal est des tous les garder au même endroit pendant un bon gros bout de la journée pour que les adultes puissent faire des choses. Et je n’y vois pas d’inconvénient : dans une société industrielle spécialisée, ce serait un désastre d’avoir des enfants en liberté partout.

Ce qui me gêne, ce n’est pas que les enfants soient emprisonnés, mais que (a) on ne le leur dise pas, et (b) que les prisons soient gérées principalement par les détenus. Les enfants sont envoyés passer six ans à mémoriser des faits n’ayant pas le moindre sens dans un monde dirigé par une caste de géants qui courent après un ballon ovale, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. Et s’ils se dérobent à ce cocktail surréaliste, on les appelle des bons à rien, des marginaux.


La vie dans ce monde détraqué est pleine de stress pour les enfants. Et pas seulement pour les nerds. Comme toutes les guerres, elle est également nuisible aux gagnants.

Les adultes ne peuvent pas ignorer que les ados sont tourmentés. Alors pourquoi ne font ils rien à ce sujet ? Parce qu’ils en accusent la puberté. La raison pour laquelle les enfants sont si malheureux, se disent les adultes, ce sont ces monstrueuses et nouvelles substances chimiques, les hormones, qui se déversent à présent dans leur sang, déréglant tout sur leur passage. Il n’y a rien de mal dans le système, c’est juste inévitable que les gosses se sentent mal à cet age.

Cette idée est tellement envahissante que même les gosses y croient, ce qui n’aide probablement pas. Quelqu’un qui pense que ses pieds lui font mal naturellement ne s’arrêtera pas pour considérer la possibilité que peut-être il porte des chaussures trop petites.

J’ai des doutes concernant cette théorie selon laquelle les enfants de 13 ans sont intrinsèquement déréglés. Si c’est physiologique, cela devrait être universel. Est-ce que les nomades mongols sont tous nihilistes à 13 ans ? J’ai lu beaucoup d’histoire, et je ne crois pas avoir trouvé une seule référence à ce supposé fait universel avant le vingtième siècle. Les apprentis de la Renaissance semblent avoir été joyeux et passionnés. Ils se battaient et se jouaient des tours entre eux, bien sûr (Michelange s’est fait casser le nez par une brute), mais ils n’étaient pas tarés.

De ce que je vois, le concept de l’ado traumatisé par ses hormones est contemporain à la création des banlieues. Je ne crois pas que cela soit une coïncidence. Je crois que les ados sont rendus fous par la vie qu’on leur fait mener. Les apprentis de la Renaissance travaillaient comme des chiens. Les ados d’aujourd’hui sont des chiens de manchon névrosés. Leur folie est la folie des oisifs du monde entier.


Quand j’étais à l’école, le suicide était un sujet constant entre les enfants plus intelligents. Personne que je connaisse ne l’a vraiment fait, mais plusieurs en avaient envie, et quelques uns ont pu essayer. C’était principalement de la frime. Comme tous les ados, nous aimions le spectaculaire, et le suicide semblait très spectaculaire. Mais c’était aussi en partie parce que nos vies de l’époque étaient authentiquement misérables et malheureuses.

Les persécutions n’étaient qu’une partie du problème. Un autre problème, et peut être encore plus important, était que nous n’avions rien de réel sur quoi travailler. Les humains aiment travailler ; dans la plus grande majorité du monde, votre travail c’est votre identité. Et tout le travail que nous faisions était inutile, ou du moins cela le semblait à l’époque.

Au mieux, c’était un entrainement au vrai travail que nous aurions à faire dans un futur éloigné, tellement éloigné que nous ne savions même pas à l’époque pour quoi nous nous entrainions. Le plus souvent, c’était juste une série de cerceaux dans lesquels sauter, des mots sans contenu conçus principalement pour leur faculté à être contrôlés. (Les trois raisons principales de la guerre civile sont… Contrôle : Faites la liste des trois principales causes de la guerre civile)

Et il n’y avait pas d’autre option. Les adultes avaient admis entre eux que c’était la meilleure route pour l’université. La seule façon d’échapper à cette existence vide était de s’y soumettre.


Les ados dans l’histoire avaient un rôle plus actif dans la société. A l’époque préindustrielle, ils étaient tous apprentis d’un métier ou d’un autre, que ce soit dans un magasin, une ferme ou même un bateau de guerre. Ils n’étaient pas laissés pour compte, on ne les laissait pas créer leurs propres sociétés. Ils étaient des jeunes membres de sociétés adultes.

Il semble que les ados respectaient plus les adultes par le passé, parce que les adultes étaient les experts visibles dans les compétences qu’ils essayaient d’apprendre. Aujourd’hui la plupart des enfants n’ont qu’une vague idée de ce que leurs parents font dans leurs lointains bureaux, et ne voient aucune connexion (et, de fait, il y en a vraiment peu) entre leur travail à l’école et le métier qu’ils feraient une fois adulte.

Et si les jeunes respectaient plus les adultes, les adultes trouvaient aussi plus d’utilité dans les jeunes. Après une ou deux années d’entrainement, un apprenti pouvait être une véritable aide. Même au plus bleu des apprentis on pouvait faire porter des messages ou balayer l’atelier.

De nos jours, les adultes n’ont pas de rôle immédiat pour les ados. Ils seraient une gêne au bureau. Alors ils les déposent à l’école en allant travailler, un peu comme ils déposeraient le chien dans un chenil avant de partir en vacances.

Qu’est-ce qui s’est passé ? Question difficile que celle là. La raison de ce problème est la même que la raison de nombreux maux : la spécialisation. Comme les métiers deviennent de plus en plus spécialisés, il faut être entrainé de plus en plus longtemps avant de pouvoir s’y atteler. Les enfants des époques préindustrielles commençaient à travailler a 14 ans pour les plus âgés, et dans les fermes où habitaient la plupart des gens, ils commençaient beaucoup plus tôt. Aujourd’hui, les enfants qui vont à l’université ne commencent pas à travailler à plein temps avant d’avoir 21 ou 22 ans. Dans certains diplômes, vous pouvez ne pas finir vos études avant d’avoir 30 ans, âge proche de l’espérance de vie moyenne au moyen-âge.

Les ados aujourd’hui n’ont pas la moindre utilité, à part comme main d’œuvre à bas prix dans des industries comme celle des fast food, qui ont évolué pour exploiter ce fait précis. Dans presque n’importe quel autre type de travail, ils seraient une perte sèche. Mais ils sont aussi trop jeunes pour être laissés à eux même. Quelqu’un doit les surveiller, et la façon la plus efficace de le faire et des les réunir au même endroit. Ainsi une poignée d’adultes peut tous les surveiller.

Si l’on s’arrête ici, ce que l’on décrit est littéralement une prison, enfin une prison à temps partiel. Le truc, c’est que beaucoup d’écoles s’arrêtent effectivement ici. Le but officiel des écoles est d’éduquer les enfants. Mais il n’y a aucune pression extérieure de le faire. Et donc beaucoup d’écoles sont tellement abominables du point de vue de cet apprentissage que les enfants ne le prennent pas au sérieux - pas même les enfants intelligents. La plupart du temps nous ne faisions tous, profs comme élèves, que suivre le mouvement.

Dans mon cours de français au lycée, nous étions sensés lire Les Misérables, de Hugo Victor. Je ne pense pas que qui que ce soit parmi nous n’ait connu assez de français pour nous débrouiller dans cet énorme livre. Comme le reste de la classe, j’ai juste parcouru les Cliff’s Notes (NDT : résumés de livres). Quand on nous a donné un devoir sur le livre, j’ai remarqué que les questions semblaient bizarres. Elles étaient pleines de longs mots que notre professeur n’aurait pas employé. D’où venaient ces questions ? Des Cliff’s Notes. Le prof aussi les utilisait. Nous faisions tous semblant.

Certains de nos profs ont vraiment essayé de nous enseigner des choses, ce qui était d’autant plus impressionnant si l’on considère les conditions dans lesquelles ils devaient travailler (je voudrais m’excuser ici, Mr Drum, de ne pas avoir plus appris dans votre excellent cours d’arithmétique). Mais c’étaient des individus qui nageaient à contre courant. Ils ne pouvaient pas réparer le système.


Dans presque tous les groupes de gens, on trouve une hiérarchie. Quand des groupes d’adultes se forment dans le monde réel, c’est généralement dans un but commun et les leaders finissent par être ceux qui sont les meilleurs à cette tâche. Le problème est que, comme on l’a vu, la plupart des écoles n’ont pas de but. Leur but ostensible, la scolarité, est une blague, qui n’est même pas prise au sérieux par ceux qui y sont bons. Mais une hiérarchie il doit y avoir, alors les gamins en créent une à partir de rien.

Nous avons une expression pour décrire ce qui arrive quand des classements doivent être faits sans aucun critère valable. On dit que la situation dégénère en concours de popularité. Et c’est exactement ce qui se produit dans la plupart des écoles américaines. Comme le groupe n’a pas de but réel, il n’y a pas de mesure naturelle de performance d’où dériver un statut. Au lieu de déprendre de tests réels, le rang de chacun finit par dépendre principalement de la capacité de chacun à améliorer son propre rang. Comme à la cour de Louis XIV. Il n’y a pas d’opposant extérieur, alors les enfants deviennent leurs propres opposants dans une inexorable compétition.

Quand il y a un véritable test de compétence, il n’est pas pénible d’être à la base de la hiérarchie. Un novice dans une équipe de football n’est pas offensé par les aptitudes du vétéran, il espère jouer aussi bien que lui un jour et il est content d’avoir la chance d’apprendre de lui. Et à son tour le vétéran sera amical vis à vis du novice. Son succès lui donne un sentiment de noblesse oblige : il est probablement aussi enclin à partager son expérience que le novice l’est à la recevoir. Et, plus important, leur statut à tous les deux dépend de la qualité de leur jeux et de la manière dont ils se comportent face à leurs adversaires, pas à la manière dont ils se rabaissent l’un l’autre.

Les hiérarchies de cour sont complètement différentes. Ce type de société rabaisse tous ceux qui y entrent. Il n’y a pas d’admiration en bas, ni de noblesse oblige en haut. C’est tuer ou être tué.

C’est le genre de société qui est établi par défaut dans les lycées américains. Et cela arrive parce que ces écoles n’ont pas d’autre but que de garder tous les enfants dans un même enclos pendant un certain nombre d’heures chaque jour. Ce que je ne réalisais pas à l’époque, et qu’en fait je n’ai réalisé que récemment, c’est que les deux horreurs de la vie scolaire, la cruauté et l’ennui, ont toutes les deux la même cause.


La médiocrité des écoles publiques américaines a des conséquences pires que de juste rendre les enfants malheureux pendants six ans. Elle engendre une rébellion qui amène activement les enfants à repousser les choses qu’ils sont supposés apprendre.

Comme beaucoup de nerds, probablement, je n’ai pu pendant des années me résoudre à lire quoi que ce soit qui m’ait été assigné à l’école. Je n’ai pas pu affronter Macbeth avant mes 24 ans, et le livre porte encore cette mauvaise odeur. Même aujourd’hui, je ne sais pas si je n’aime pas Hemingway, Faulknet et Steinbeck parce qu’ils sont des écrivains américains pompeux, ou si c’est parce qu’on mes les a fait lire à l’école.

J’ai perdu plus que des livres. Je ne faisais plus confiance à des mots comme « caractère » ou « intégrité » parce qu’ils avaient été complètement pervertis par les adultes. Lorsqu’ils étaient utilisés alors, ces mots semblaient tous dire la même chose : obéissance. Les enfants qui étaient encensés d’avoir ces qualités étaient toujours au mieux des bovins de concours sans cerveau, ou au pire des lèches culs de base. Si ça c’était du caractère et de l’intégrité, je n’en voulais pas.

Le mot que j’ai le plus mal compris, c’est « tact ». Utilisé par les adultes, il semblait vouloir dire fermer sa gueule. Sur la base de cette interprétation j’ai inventé une étymologie de ce mot. J’assumai qu’il était dérivé de la même racine que « tacite » et « taciturne », et qu’il voulait littéralement dire être silencieux. Je me jurai de ne pas avoir de tact, et qu’ils ne me feraient jamais taire. En fait, le mot « tact » est dérivé de la même racine que « tactile », et cela veut dire être adroit. Avoir du tact, c’est l’opposé d’être maladroit. Je crois que je n’ai pas appris cela avant l’université.


Les nerds ne sont pas les seuls perdants dans la course sans fin à la popularité. Les nerds sont impopulaires parce qu’ils en sont distraits. Il y a d’autres enfants qui choisissent délibérément d’en sortir parce qu’ils sont dégoûtés par tout le processus.

Les ados, même rebelles, n’aiment pas être seuls, alors quand des ados décident de sortir du système, ils tendent à le faire en groupe. Dans les écoles dont j’ai fait partie, le centre de la rébellion était l’usage de drogue, de marijuana pour être exact. Les ados de cette tribu portaient des t-shirts de concerts noirs et on les traitait de défoncés ou de toxs.

Les toxs et les nerds étaient alliés, et les deux ensembles étaient assez superposés l’un à l’autre. Les toxs étaient pour la plupart plus intelligents que la moyenne, bien que le fait qu’ils n’étudiassent jamais, ou au moins qu’ils n’aient jamais l’air de le faire, avait une valeur tribale importante. J’étais plutôt dans le camp des nerds, mais j’avais beaucoup d’amis toxs.

Ils utilisaient les drogues, au moins au début, pour les liens sociaux qu’elles tissaient. C’était quelque chose à faire ensemble, et parce que les drogues étaient illégales, c’était un badge de rébellion partagée.

Je ne dis pas que les mauvaises écoles sont la seule raison pour laquelle les ados ont des problèmes avec la drogue. Au bout d’un moment, les drogues ont leur propre inertie. Il ne fait aucun doute que certains des toxs ont en définitive utilisé des drogues pour échapper à d’autres problèmes - des problèmes familiaux par exemple. Mais, dans mon école au moins, la raison pour laquelle la plupart des ados ont commencé à en prendre, c’était la rébellion. Les gosses de 14 ans ne commencent pas à fumer de l’herbe parce qu’ils ont entendu que ça les aiderait à oublier leurs problèmes. Ils commencent pour rejoindre une tribu différente.

Un mauvais gouvernement engendre la révolte ; ce n’est pas une idée neuve. Et pourtant les autorités continuent à agir comme si la drogue elle même était une cause du problème.


Le véritable problème, c’est la vacuité de la vie scolaire. Nous ne verrons pas de solutions tant que les adultes ne réaliseront pas qu’il y a un problème. Les adultes qui pourraient réaliser cela les premiers sont ceux qui furent eux mêmes des nerds à l’école. Voulez vous que vos enfants soient aussi malheureux que vous en quatrième ? Pas moi. Et alors, pouvons nous faire quelque chose pour réparer les choses ? Certainement. Il n’y a rien d’inévitable dans le système actuel. Il est principalement arrivé là par défaut.

Mais les adultes ont du travail. Être là pour la pièce de théâtre de l’école c’est une chose. S’attaquer à la bureaucratie scolaire, c’en est une autre. Peut être qu’une poignée d’entre eux auront l’énergie pour essayer de changer les choses. Je crois que le plus difficile est de réaliser que c’est possible.

Les nerds qui sont encore à l’école ne devraient pas se réjouir trop vite. Peut être qu’un jour une force armée d’adultes viendra vous sauver en hélicoptère, mais a priori, pas avant le mois prochain au moins. Si les nerds veulent une amélioration immédiate de leur vie, ils devront probablement y travailler eux mêmes.

Le seul fait de comprendre la situation dans laquelle ils sont devrait la leur rendre moins pénible. Les nerds ne sont pas des losers. Ils jouent juste à un jeu différent, un jeu beaucoup plus proche de celui auquel on joue dans le monde réel. Les adultes le savent. Il est difficile de trouver des adultes ayant réussi leur vie qui n’avouent pas avoir été des nerds au lycée.

Il est aussi important pour les nerds de réaliser que l’école n’est pas la vie. L’école est une chose artificielle étrange, mi stérile, mi sauvage. Elle imprègne tout, comme la vie, mais ce n’est pas la vraie vie. C’est seulement temporaire, et si vous ouvrez les yeux, vous pourrez voir plus loin qu’elle, même en étant encore dedans.

Si la vie semble atroce aux adolescents, ce n’est pas parce que les hormones vous transforment tous en monstres (comme le croient vos parents), ni parce que la vie est effectivement atroce (comme vous le croyez). C’est parce que les adultes, pour qui vous n’avez plus d’utilité économique, vous ont abandonnés à passer quelques années parqués ensembles à ne rien faire. Toutes les sociétés de ce type sont horribles à vivre. Le rasoir d’Occam nous dit qu’il n’y a pas à chercher plus loin les raisons pour lesquelles les ados sont tourmentés et malheureux.

J’ai dit des choses dures dans ce texte, mais en réalité ma thèse est optimiste : nombre de problèmes que nous tenons pour acquis ne sont après tout pas si insolubles. Les adolescents ne sont pas nécessairement des monstres malheureux. Ça devrait être une nouvelle encourageante, à la fois pour les enfants et pour leurs parents.